La plupart d’entre vous avez certainement déjà entendu l’éternel : « C’est dans votre tête » ou « Vous n’avez pas de maladie, car c’est une dépression qui engendre vos symptômes » ou « Soignez votre dépression et vous irez mieux ».
On peut aussi remplacer le mot « dépression » par « troubles de l’humeur », « anxiété », « irritabilité » …
Car oui, une grande partie des personnes avec un syndrome d’activation mastocytaire ou une mastocytose ont des soucis d’humeur, d’anxiété, voire de dépression.
Alors…
La dépression est-elle la cause de notre maladie ?
Ou est-elle la conséquence ?
Qui de la poule ou de l’œuf était là en premier ?
A base d’études scientifiques avérées, je vous propose de répondre à cette question dans cet article.
Et d’ordre plus générale se pose la question de la dépression d’origine inflammatoire.
SOMMAIRE
– Commençons par les bases : tryptophane, sérotonine et histamine
– Dépression en général
– Origine inflammatoire pour certains cas de dépression
– Prévalence de la dépression dans les maladies mastocytaires
– Processus entre mastocytes et dépression
– Étude via IRM
– Antidépresseurs classiques mal supportés ?
– Quelques pistes ?
Dans cet article, je parle de dépression puisque c’est ce qui est décrit dans les différentes études.
Mais par extension, cela concerne aussi l’anxiété, les troubles de l’humeur, l’irritabilité…
Commençons par les bases
Afin de bien comprendre la suite de l’article, je vous propose déjà quelques rappels de notions concernant le tryptophane, la sérotonine et l’histamine.
Tryptophane
Le tryptophane est un acide aminé essentiel pour l’organisme et également un constituant des protéines.
Il est l’un des précurseurs de la sérotonine, c’est-à-dire qu’il participe à la production de celle-ci.
Il permet aussi la production des kynurénines (= substance formée au cours du métabolisme du tryptophane) via l’activation de l’enzyme IDO1 (indoleamine-2,3-dioxygénase 1). Nous reparlerons de ce schéma dans un chapitre plus bas.
Le tryptophane et les substances formées au cours de son métabolisme jouent un rôle important dans l’immunité intestinale, l’inflammation et la motricité intestinale.
Il permet aussi de favoriser le sommeil et de lutter contre les troubles dépressifs.
Il est apporté par l’alimentation, majoritairement via les produits d’origine végétale car les animaux ne peuvent pas le synthétiser.
On cite par exemple : le riz complet, les produits laitiers, les œufs, la viande, le poisson, les fruits à coque, les légumineuses, le chocolat, la banane…
Sérotonine
La sérotonine ou 5-HT est souvent appelée « hormone du bonheur ».
C’est un neurotransmetteur synthétisé à partir du tryptophane pour 95% dans l’intestin et 5% dans le cerveau.
Elle est impliquée dans la régulation de nombreuses fonctions comportementales et biologiques du corps. Elle agit notamment sur l’alternance veille-sommeil, l’appétit, la perception de la douleur, la température du corps, la libido et la vigilance.
Par ce faire, la sérotonine se fixe sur au moins 15 types différents de récepteurs, inhibiteurs ou excitateurs et régule ainsi l’activité des neurones.
Elle agit aussi et surtout sur la régulation de l’humeur et des émotions et inhibe de nombreuses régions du cerveau. Ainsi, si le taux de sérotonine est trop faible, ces régions du cerveau se trouvent désinhibées, ce qui peut entraîner des comportements impulsifs et/ou agressifs.
Aujourd’hui, il est aussi de plus en plus admis que la sérotonine joue un rôle important dans l’inflammation et l’immunité, notamment en lien avec les lymphocytes T, les macrophages, les mastocytes et les plaquettes.
Histamine
Concernant le fonctionnement général de l’histamine, vous pouvez consulter l’article dédié : « Histamine : son rôle clé dans notre corps ».
En complément, il convient de rajouter que l’histamine régule aussi la libération d’autres neurotransmetteurs, comme la noradrénaline ou la sérotonine.
L’histamine peut entraîner une perméabilité accrue de la barrière hémato-encéphalique (= barrière physique et métabolique qui isole le cerveau du reste de l’organisme).
Ainsi, par exemple, on retrouve des niveaux cérébraux d’histamine diminués chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer ou alors des niveaux anormalement élevés dans le cerveau des patients atteints de la maladie de Parkinson et des patients schizophrènes.
Le système histaminique a donc été suggéré comme cible possible pour le traitement des troubles psychiatriques.
Dépression en général
La dépression est une maladie fréquente touchant 350 millions de personnes dans le monde. Dans ce cas, les antidépresseurs classiques sont prescrits afin de tenter de parer à ce trouble.
Toutefois, environ 30% des patients ne répondent pas de manière satisfaisante à ces traitements, même s’ils sont bien menés. Ces patients peuvent aussi présenter des effets secondaires à ces mêmes traitements.
Les dépressions de ces personnes pourraient alors avoir une origine inflammatoire avec, à la clé, de nouvelles pistes thérapeutiques pour ces 30% de dépressifs résistants aux antidépresseurs classiques.
Origine inflammatoire pour certains cas de dépression
Depuis une dizaine d’années, le domaine de la neuropsychiatrie a réalisé de nombreuses découvertes sur les mécanismes par lesquels l’inflammation peut affecter le cerveau et le comportement.
Les chercheurs suggèrent ainsi une piste inflammatoire dans certains cas de dépression, de fatigue et de dysfonctionnement cognitif.
De nombreuses études ont révélé des corrélations significatives entre inflammation et troubles dépressifs, avec des taux plus élevés de cytokines pro-inflammatoires (= messagers assurant la communication entre les cellules du système immunitaire) chez les patients souffrant de troubles dépressifs majeurs.
Dans ce cas, il a été mis en évidence que le tryptophane joue un rôle majeur dans la dépression induite par l’inflammation. En effet, les chercheurs ont découvert des concentrations sanguines plus faibles en tryptophane chez les personnes les plus dépressives.
Prévalence de la dépression dans les maladies mastocytaires
Les patients atteints de maladies mastocytaires présentent très souvent des symptômes neurologiques et psycho-cognitifs comme des troubles de l’attention et de la mémoire, un brouillard cérébral, de l’anxiété, une réactivité émotionnelle excessive, de l’irritabilité, une dépression…
Selon les différentes études, alors que moins de 10% de la population en général est atteinte de dépression, la prévalence de dépression chez les personnes atteintes de maladies mastocytaires est en moyenne de 50 %.
Processus entre mastocytes et dépression
Si cela n’est pas déjà fait, vous pouvez lire l’article « Dégranulation mastocytaire… tout pour vous plaire ! » pour bien comprendre ce qu’est un mastocyte.
Entre autres, les mastocytes sont localisés le long des vaisseaux sanguins méningés et des tissus conjonctifs, ainsi qu’entre les fibres nerveuses. Les densités les plus élevées de mastocytes dans le cerveau ont été trouvées notamment dans l’hypophyse, l’hypothalamus et le thalamus.
Quand les mastocytes sont activés, cela conduit à la libération de nombreux médiateurs responsables de la génération de cytokines inflammatoires (= messagers assurant la communication entre les cellules du système immunitaire) aggravant la dépression.
L’enzyme IDO1 participe à la dégradation du tryptophane et son activité peut être stimulée par les cellules immunitaires et les cytokines inflammatoires justement.
Or, dans les maladies mastocytaires, vous le savez, les mastocytes sont suractivés, entraînant une libération disproportionnées de ces médiateurs chimiques.
Les patients atteints de maladies mastocytaires présentent des taux différents par rapport aux sujets sains :
– des taux plus faibles de sérotonine et de tryptophane.
– une activité de l’IDO1 plus élevée.
Cette activité plus élevée de l’enzyme IDO1 entraîne alors une dégradation plus importante du tryptophane et donc des taux plus élevés de ses dérivés neurotoxiques (ex : acide quinolinique). Ainsi, la dégradation du tryptophane semble détournée pour produire des composés neurotoxiques plutôt que de participer à la synthèse de sérotonine.
En résumé, le processus est le suivant :
1/ Mastocytes suractivés
2/ Libération disproportionnée de médiateurs chimiques
3/ Génération supplémentaire de cytokines inflammatoires
4/ Activité plus élevée de l’IDO1 (= enzyme dégradant le tryptophane)
5/ Dégradation plus importante du tryptophane
6/ Faible production de sérotonine
7/ Symptômes anxieux, dépressifs…
Ce processus anormale avec un faible niveau de sérotonine explique donc la douleur réfractaire (la sérotonine étant impliquée dans le processus de la douleur) mais aussi l’anxiété et la dépression chez les patients atteints de maladies mastocytaires.
Les conclusions de toutes les études établissent donc un lien clair entre l’hyperactivité des mastocytes et les symptômes dépressifs, induits par une inflammation.
D’ailleurs, des patients atteints de troubles neuropsychiatriques réfractaires aux antidépresseurs classiques ont connu une amélioration significative après un diagnostic et un traitement ciblé des maladies mastocytaires.
Ainsi, certains patients étiquetés « malades psychiatriques » seraient mal diagnostiqués alors que la cause pourrait être une maladie mastocytaire.
Étude via IRM
En lien avec ce processus de cause à effet des mastocytes à la dépression, une étude a été menée sur des patients atteints de mastocytoses présentant des troubles dépressifs et suivis au CEREMAST (Centre de Référence des Mastocytoses).
Le but était de montrer, chez ces patients, le lien entre troubles psychiatriques et données médicales objectives via IRM (imagerie par résonance magnétique).
Suite à l’analyse des IRM, il a été observé que 49% de ces patients présentaient des anomalies morphologiques cérébrales, principalement des anomalies de la substance blanche.
La conclusion est que certaines anomalies morphologiques et fonctionnelles du cerveau sont associées à la mastocytose.
Antidépresseurs classiques mal supportés ?
Un certain nombre de patients atteints de SAMA ou de mastocytoses présentent une intolérance aux médicaments psychiatriques standards. Dans ce domaine des antidépresseurs, il y a par exemple :
– les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS),
– les antidépresseurs tricycliques (ATC).
Concernant les ISRS
Certaines études ont montré que les ISRS peuvent inhiber (= empêcher) l’activation, la prolifération, la formation de granules et la recapture de la sérotonine.
Et d’autres études ont montré que l’inhibition de la recapture de la sérotonine peut induire une dégranulation des mastocytes et conduire donc à une libération supplémentaire d’histamine et de cytokines inflammatoires.
C’est pourquoi les ISRS peuvent ne pas être bien tolérés par les patients atteins de maladies mastocytaires. Et il est difficile de prévoir la réponse d’un patient aux ISRS à ce type de médicaments.
Concernant les ATC
La recherche a montré que la prise d’ATC a un effet bénéfique sur les patients avec maladies mastocytaires, grâce à l’inhibition de la sécrétion de sérotonine et à la prévention de la dégranulation des mastocytes.
Quelques pistes ?
Au cours des études que j’ai pu lire, j’ai trouvé quelques pistes données par les chercheurs pour traiter les dépressions en lien avec les mastocytes.
Bien-sûr, cela n’est pas une indication pour vous traiter mais seulement des pistes qui peuvent être discutées avec votre médecin spécialiste. Seul celui-ci sera en mesure de vous proposer un traitement adapté en fonction de vos symptômes.
CBD
Concernant le cannabis médical, vous pouvez lire l’article s’y référant : « Cannabis médical (CBD, THC) : solution d’avenir pour les douleurs chroniques ? ».
Pour compléter l’article, disons que le CBD augmente la disponibilité du tryptophane circulant et inhibe l’activité de l’enzyme IDO1.
Ainsi, il pourrait casser le processus anormal décrit plus haut (activité trop élevée de l’IDO1 entraînant une dégradation trop importante du tryptophane).
Kétamine
La kétamine est un anesthésiant permettant de bloquer les effets de l’acide quinolinique (décrit plus haut comme étant un dérivé neurotoxique produit lors de la dégradation du tryptophane).
Certaines études menées sur des patients dépressifs ont montré des effets antidépresseurs importants suite à la prise de kétamine.
Masitinib
Le masitinib, un immunosuppresseur inhibiteur de la protéine kinase, peut être considéré comme une option thérapeutique pour certains patients atteints de mastocytoses systémiques indolentes ou latentes.
D’ordre général, le traitement par masitinib a été associé à une amélioration significative (chez 67 % des patients) de la dépression.
Il est donc parfois utilisé comme traitement efficace pour la dépression réfractaire aux médicaments classique dans la mastocytose et il est encore en étude pour les syndromes d’activation mastocytaires.
A lire aussi dans la rubrique “Conséquences associées”…
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– INSERM : « Dépression : la piste inflammatoire se précise »
– Science Direct : « Implication des mastocytes dans la physiopathologie de la dépression »
– Science Direct : « Diminution du tryptophane et élévation des taux de kynurénines plasmatiques au cours de la mastocytose avec atteinte digestive »
– Science Direct : « Masitinib dans le traitement de la mastocytose systémique sévère de forme indolente ou latente »
– Institut Pasteur : « Découverte d’un nouveau mécanisme biologique de la dépression »
– Institut du cerveau : « Qu’est-ce que la sérotonine ? »
– Passeport Santé : « Le tryptophane : un acide aminé essentiel »
– National Library of Medicine : « The Effectiveness and Safety of Pharmaceutical-Grade Cannabidiol in the Treatment of Mastocytosis-Associated Pain : A Pilot Study »
– Research Gate : « Impact of mast cells in depression disorder: inhibitory effect of IL-37 (new frontiers) »
– Semantic Scholar : « Depression in Patients with Mastocytosis: Prevalence, Features and Effects of Masitinib Therapy »
– Orphanet Journal of Rare Diseases : « Neuropsychiatric, cognitive and sexual impairment in mastocytosis patients »
– The American Journal of Psychiatry : « Improvement in Neuropsychiatric Symptoms With the Addition of Nortriptyline in the Context of Mast Cell Activation Syndrome »
– Translational Psychiatry : « Neuroimaging evidence of brain abnormalities in mastocytosis »
– Hindawi : « Chronic Pain Treatment: The Influence of Tricyclic Antidepressants on Serotonin Release and Uptake in Mast Cells »
– Molecular Psychiatry : « Mast cells’ involvement in inflammation pathways linked to depression: evidence in mastocytosis »
– MDPI : « Neuropsychiatric Manifestations of Mast Cell Activation Syndrome and Response to Mast-Cell-Directed Treatment: A Case Series »
– Science Direct : « Beyond a neurotransmitter: The role of serotonin in inflammation and immunity »
– Science Direct : « Mast cell activation disease: An underappreciated cause of neurologic and psychiatric symptoms and diseases »
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